Monique était assise près de l’âtre, elle se
souvenait des châtaignes qui sautaient dans le feu, des bûches
qu’elle coupait juste à la grandeur de la cheminée ; elle
avait aimé ce temps c’était sa jeunesse, la convivialité qui
n’existait plus.
Son gendre rajoutait une bûche dans l’insert,
Monique la regardait, le crépitement n’était pas le même ni la
beauté du feu. Elle se taisait comme elle avait appris à le faire
depuis la mort de son mari. Sa fille l’avait prise chez elle,
Monique ne pouvait plus se mouvoir seule et la maison de retraite
médicalisée coûtait trop cher.
Personne n’avait demandé l’avis de Monique,
elle n’était pas heureuse chez sa fille, non qu’elle lui fasse
du mal ou la maltraite mais elle aurait voulu rester chez elle avec
une fille qui serait venue l’aider à se laver et s’habiller,
après elle pouvait se débrouiller avec un fauteuil roulant. Les
enfants n’ont pas voulu , sa fille aînée a décidé de la
prendre, sans grand enthousiasme, elle avait du travail avec la ferme
et ses enfants adolescents.
Les voix ronronnaient autour de Monique, elle
n’écoutait pas, elle se souvenait de Maurice qui l’avait demandé
en mariage devant la cheminée, sa mère avait accepté pour elle,
comme elle était rouge et se sentait gauche devant lui, pourtant
elle l’aimait. L’amour ne durait qu’un temps, après le premier
enfant, Maurice alla courir les filles pendant qu’elle travaillait
à la ferme et aux champs, les enfants lui avaient pris beaucoup de
temps dans sa vie, elle en avait eu huit.
Monique n’avait pas le temps de chanter des
berceuses à ses enfants, elle surveillait qu’ils se lavent,
aillent à l’école, mangent proprement et ne déchirent pas leurs
habits, le surplus était pour les familles riches.
Sa fille n’avait que deux enfants, elle leur
racontait des histoires, les embrassaient, trouvait du temps pour
jouer avec eux ; cela la dépassait, dans le temps le travail
prenait tout son temps, sa belle-mère était sur son dos, elle
devait aussi travailler pour elle. Elle ne se souvenait plus quand
avait-elle eu une minute à elle dans sa jeunesse ? Avant de se
marier, un peu, puis après le mariage tant que Maurice ne s’était
pas lassé de ses caresses. Après elle faisait comme ses compagnes,
elle travaillait tôt et se couchait tard, elle mangeait rarement
avec la famille, elle grignotait dans la cuisine entre deux
occupations.
Malgré la fatigue, Monique avait aimé cette vie,
elle se souvenait quand ils se retrouvaient tous dans le pré, après
avoir travaillé le champ, ils mangeaient ensemble, les hommes se
reposaient, les femmes débarrassaient et faisaient la vaisselle dans
le ru en racontant des blagues et riant.
Il ne fallait pas grand chose pour rire à
l’époque, aujourd’hui, sa fille ne riait pas souvent, pourtant
elle avait plus de temps libre que sa mère n’en avait eu.
Monique s’ennuyait, sa fille lui avait laissé
des magazines à lire, cela l’amusait dix minutes, elle en avait
vite assez et voulait autre chose, elle tricotait un peu, ses mains
lui faisaient mal et le médecin avait dit « le tricot, pas
plus d’une heure par jour » Elle ne pouvait plus coudre
voyant moins bien, elle se sentait bonne à rien, personne ne le
remarquait sauf elle. La souffrance devenait intenable à vivre ainsi
sans rien faire d’utile, elle n’était pas habituée et n’aimait
pas. Parfois un des petits-enfants venait lui tenir compagnie, elle
ne savait pas comment lui parler ; au début elle avait essayé
de lui enseigner la vie agricole, les chants des oiseaux, les
légendes du pays, l’enfant ne comprenait pas et demandait une
histoire comme maman ; elle ne connaissait pas. Petit à petit
elle décida de parler le moins possible et que pour les choses
utiles, ainsi elle perdait moins son temps et pouvait vivre dans ses
souvenirs avec Maurice, malgré ses tromperies, ils avaient été
heureux, ils avaient su rire, danser, s’amuser le jour du carnaval,
inviter ou aller aux veillées.
Monique allait atteindre 90 ans, son mari était
mort il y a 20 ans, elle vivait chez sa fille depuis deux ans, les
autres enfants venaient la voir une ou deux fois par mois pour se
donner bonne conscience. Plus rien ne la retenait ici-bas, elle
s’approcha avec son fauteuil vers la fenêtre, elle était au
second étage ; elle réussit à bousculer son fauteuil et
glisser vers la rampe de la fenêtre, elle entendit crier un des
petits-enfants, fit un effort immense et réussit à glisser par la
fenêtre. Elle vit sa vie se dérouler le temps de venir s’échouer
sur le ciment. Monique allait rejoindre Maurice, la seule chose dont
elle était sûre en s’écrasant.
Elena