ODESSA
Nina travaillait à Odessa dans la compagnie
d’Intourist, elle n’aimait pas les Français, ils étaient trop indisciplinés
disait-elle. Elle avait appris l’allemand et l’anglais et avait des touristes
venant des pays anglophones ou allemands. Nous étions devenues amies et elle
décida de me faire connaître les différentes couches sociales de la société
d’Odessa.
Cela
se passait en 1980, cette ville
ressemblait un peu à Marseille, elle n’obéissait pas aux ordres, ils
détournaient les autres bateaux pour remplir leur plan quinquennal.
Les
gens étaient plus libres, moins surveillés, j’ai connu un homme travaillant
dans les bombes atomiques, il m’a même fait visiter la ville en voiture,
ailleurs en URSS cela aurait été impensable !
Nina
commença par m ‘emmener chez une connaissance vivant dans un foyer
communal pauvre. Elle avait une chambre ordinaire, la cuisine et les toilettes
étaient communes à plusieurs personnes et il fallait choisir son heure pour
cuisiner. Nous avons juste pris un thé chez elle, elle se plaignait de tout et
Nina décida qu’il était temps de partir.
Nina
habitait avec ses parents, comme beaucoup de jeunes de 27 ans même mariés qui
n’avaient pas de logement dans les grandes villes, elle était pourtant encore
célibataire, elle venait d’avoir un chagrin d’amour, je n’en savais pas plus.
Lorsque
je venais chez elle, nous allions directement dans sa chambre et ses parents
n’avaient pas le droit de la déranger, il m’est arrivé de les voir et leur dire
« Bonjour » mais elle m’entraînait vivement et je n’ai jamais
vraiment parlé avec eux. J’ai remarqué cette pratique dans toutes les grandes
villes où les jeunes vivaient avec les parents.
La
seconde étape fut chez un locataire vivant aussi dans un foyer communautaire,
c’était au centre ville, très bel appartement, il avait deux pièces, faisait
chauffer son repas dans la cuisine commune, celle-ci était d’une qualité
supérieure à l’autre. L’homme était professeur dans un lycée, il n’aimait pas
travailler et lisait beaucoup, il empruntait à la bibliothèque à durée
indéterminée ; c’est ainsi que j’héritai de plusieurs livres de poètes de
l’époque. Ils avaient le tampon de la bibliothèque. Nous avions dîné chez lui
avec beaucoup d’amis, tous des intellectuels voulant refaire le monde.
La
visite d’après fut l’église catholique où allaient les Polonais, je fus très
étonnée, je connaissais un peu les églises catholiques mais là ils chantaient
en polonais et l’ambiance était différente, moins austère qu’en France. Nous
sommes allées une autre fois à l’opéra voir « Boris Godounov »
L’intérêt résidait dans l’opéra : c’était la copie conforme de la Scala en
plus petit. Par contre les chanteurs étaient nuls, dès qu’ils devenaient bons
ils partaient à Moscou, le décor était splendide !
Nous
avons visité un monastère, une copine avait une voiture et nous emmena, il
pleuvait, elle astiquait sa voiture. Elle m’expliqua que si sa voiture était
sale elle pouvait avoir une amende, cela m’amusa. C’était la veille de Pâques
orthodoxe, les vieilles personnes apportaient les gâteaux de Pâques, les moines
les mettaient dans un coin de l’église. Je fus frappée par les moines, habituée
à les voir maigres et vieux en France, du moins le peu que j’ai connu, ils
étaient tous des solides gaillards que j’aurai mieux vu en bûcherons !
Nina m’expliqua que certains contestataires préféraient devenir moines que
d’accepter la vie telle qu’elle était là-bas.
Notre
dernière visite importante fut chez des ingénieurs et techniciens de la marine
navale. Le port est aussi important que celui de Marseille. J'y ai vu des
bateaux de tous les pays : c’était impressionnant.
Nina
m’avait prévenu, ils sont un peu spéciaux, je ne m’inquiétai pas, cela
m’amusait.
Bel
appartement, ils ressemblaient plus à des pêcheurs costauds qu’à des
ingénieurs, nous étions une douzaine, la vodka coulait à flots, je n’en voulais
pas mais on me versait d’office, je vidais dans les plantes à côté de moi. Ils
étaient fiers de détourner les bateaux pour s’approvisionner et remplir le
quinquennat, tant pis pour les autres. Ils étaient un peu paresseux, aimaient
profiter de la vie et buvaient de la vodka à grande dose. A la fin du repas, je
me souviens le maître de maison avec d’autres se sont excusés de ne pouvoir se
lever pour dire « au revoir »
Il
y avait aussi le marché du Kolkhoze, on y trouvait de tout à pas cher. J’en ai conclu que c’était la ville la plus
débrouillarde parmi les pays de l’Est.
Elena