vendredi 9 septembre 2016

L’ETRANGER


Lorsqu’il est venu habiter la masure du père Vieney, il a juste dit « Je ne suis pas d’ici » depuis les gens l’appelaient « L’étranger » Il parlait très mal le français, parfois sa femme traduisait à sa place, elle était française. L’épouse faisait des ménages, leurs deux fillettes allaient à l’école puis à la garderie,  l’étranger faisait des petits travaux au noir, il n’avait pas encore l’autorisation de vivre en France.
Il était très bricoleur, savait poser le carrelage, monter un mur en ciment, connaissait la plomberie et l’été il débroussaillait les champs du village et des environs.
Le couple avait arrangé la masure, colmaté les trous et vivait assez bien. A mon tour je lui avais demandé des travaux dans le grenier, arranger une pièce supplémentaire. Il venait le matin, rentrait manger chez lui et revenait l’après-midi, le soir sa femme venait le chercher avec les enfants en voiture, il n’avait pas de permis. Les enfants attendaient dans la voiture poliment, je les ai  fait entrer et jouer dans le jardin, ils étaient polis et gentils. Un jour nous avons discuté pendant qu’il travaillait, il m’a dit qu’il était grec d’un côté et polonais de l’autre, avec une goutte de sang juif et une goutte venant d’Ukraine. Il m’avoua ne parler que le grec et le français. En Grèce il travaillait dans un cirque. Je voulais savoir pourquoi il n’était pas resté, il a ri en disant :
-         Je suis l’étranger, trop de sang mêlé dans les veines
Sa réponse me laissa perplexe, j’avais remarqué qu’il portait l’alliance à droite, comme les Grecs, je ne comprenais pas pourquoi il avait quitté son pays ? Il m’intriguait, je décidai de demander à son épouse, il arrivait qu’elle reste avec moi le temps qu’il finisse son travail. C’est ainsi qu’elle m’apprit qu’en Grèce on le considérait comme un étranger, son père venait d’Ukraine et parlait mal le grec, il aurait mieux valu le contraire. Par contre, elle ne me dit pas pourquoi il avait quitté le cirque ni son pays d’origine, il était né en Grèce.
Nous les voyons dans différents villages avoisinants travailler à l’extérieur, son épouse venir le chercher et les enfants toujours tranquilles.
L’étranger vivait dans la masure de Vianey depuis un an déjà, je le voyais en passant en voiture, lorsque j’allais faire des courses. Les enfants jouaient avec d’autres enfants, ils semblaient s’être adaptés au village.
Dans l’ensemble, les gens étaient contents de ses services, ils payaient moins chers, l’homme travaillait bien, on n’avait rien à lui reprocher.
Le travail au noir pose toujours un problème : il rend jaloux ceux qui travaillent en payant des impôts, en gagnant moins sans prendre de risques.
Je l’avais conseillé à ma voisine de droite, une vieille dame veuve, elle avait besoin de refaire son sol. L’étranger était accompagné par sa femme, elle était repartie et le soir elle l’attendait devant la porte. Parfois elle venait avant ou plus tard, selon l’heure où elle finissait ses ménages. Son travail était régulier, elle ne travaillait pas au noir. Bonne précaution, ayant deux enfants, elle ne voulait pas prendre de risques.
C’est chez ma voisine que j’ai su qu’elle l’avait rencontré au cirque, il n’exerçait plus mais ça lui manquait et dès qu’il y avait un cirque dans un village il essayait d’y aller, parfois il leur donnait un coup de main tellement il était heureux de se retrouver parmi eux. Je la questionnai, j’ai su qu’elle l’avait vu marcher sur la tête, faire des sauts un peu spéciaux… A ce moment il était venu et elle s’est tue immédiatement. Il ne dit rien, j’ai eu l’impression que cela ne lui plaisait pas de trop.
L’étranger avait fait des efforts pour comprendre et se faire comprendre, il connaissait bien l’anglais mais dans les villages français peu de gens parlent anglais, parfois un enfant traduisait.
Un jour sa fille aînée, était restée avec moi, nous avions promené mes chiens ensemble, elle me dit :
-         Mon père n’a pas de patrie
-         Il est grec pourtant
-         Je sais, mais je ne suis pas sûre qu’il se sente grec, il dit qu’il est partout « Etranger » Il aimerait que nous restions françaises, c’est trop dur !
Etonnée, je lui demandai ce qui était dur pour son père ? Elle me regarda et dit :
-         Vivre et ne pas faire partie du pays, ne pas comprendre, se sentir humilié, voir la pitié…
Je ne savais plus quoi répondre, comment changer cet état d’esprit, je ne savais pas s’il avait cette impression ou si les autres le lui faisaient sentir ?
En revenant de promenade, son père lui fit remarquer qu’il est tard, ils partirent aussitôt, sa femme conduisait. Je la sentis ennuyée, elle n’aurait pas dû laisser sa fille venir avec moi. Cette impression se confirma la fois suivante, quand je proposai à la petite de m’accompagner, sa mère refusa prétextant qu’elle allait étudier dans la voiture,  je n’insistai pas.
L’étranger vécut 18 mois tranquille, dans un village voisin. Il travaillait, parlait peu, attendait sa femme pour rentrer chez lui.
Tous étaient discrets dans l’ensemble et le peu que j’appris les autres ne le savaient pas.
Un jour, l’étranger travaillait sur un toit, il remettait les tuiles de la mère Damien, le vent les avaient fait tomber, son maçon était débordé par des dégâts plus importants, elle avait trouvé plus simple de demander à l’étranger. Cet argent permettait à l’étranger d’économiser pour arranger la masure, il comptait l’acheter et l’arranger en jolie maison pour sa famille.
Le lendemain je vis les gendarmes rôder dans le village, ils posaient plein de questions sur l’étranger, du genre
-         As-t-il travaillé chez vous, que savez-vous de lui, d’où venait-il et j’en passe…
Comme les autres je dis le strict nécessaire. J’allais voir ma voisine, elle pensait qu’il avait été dénoncé pour son travail au noir, sans doute un maçon qui avait été remplacé par lui.
Quelques jours passèrent, on ne vit plus l’étranger, la masure était fermée. Etonnée, je me renseignai auprès des voisins du village ils dirent que les gendarmes sont venus le chercher, la femme et les filles sont retournées dans la famille de l’épouse. Je demandai pourquoi on l’avait arrêté ?
-         Il était poursuivi comme trafiquant de drogue, dirent certains
-         Il avait volé les Bertrant, son prix était plus cher que prévu dit un autre
-         Il n’avait pas dit qu’il n’avait pas la carte de séjour, on ne l’aurait pas pris dit encore une personne.
L’étranger n’a plus reparu, les travaux faits ne semblaient plus aussi bien, les prix n’étaient pas intéressants puisque sa femme venait le chercher et il partait souvent avant l’heure.
Je ne me plaignais pas, tout avait été bien fait, ma voisine trouva son sol mal fait et fit venir son maçon.
Tour à fait par hasard, je tombai sur sa femme, je lui demandai comment allait son époux, elle me répondit :
-         il a quitté la France
-         Comment, et vous ?
-         Il n’avait pas la permission de vivre en France, c’est pour ça qu’il vivait à la campagne, il a été dénoncé pour avoir travaillé au noir. Les gendarmes sont venus le chercher et l’ont ramené en Grèce.
-         Et vous, vous n’avez pas pu le suivre ?
-         Non, je suis française, il m’a écrit qu’il va essayer d’avoir un visa pour venir, je n’y crois pas de trop. Pour la drogue c’est vrai mais il a payé, il est allé en prison, depuis jamais il n’y a touché. Je me demande comment ils ont pu savoir ?
Elle pleurait disant qu’elle l’avait prévenu que les gens n’aiment pas les gens d’ailleurs. Elle s’était réfugiée chez ses parents car on attaquait ses filles, disant que son père travaillait mal, qu’il était un escroc, qu’il ferait de la prison…
Maintenant je dois oublier, mes filles aussi tout en souhaitant le retrouver un jour, j’ai envoyé une lettre en Grèce, après je n’ai plus continué, s’il se cache, je ne veux plus qu’on le dénonce, surtout pas par moi.
L’étranger n’est plus revenu, l’épouse vécut chez ses parents, elle éleva seule, ses enfants, il ne lui donna plus signe de vie, pourtant, un jour elle disparut à son tour...
Elena



13 commentaires:

  1. un très joli récit, Elena
    merci et belle journée;

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  2. un très joli récit, Elena
    merci et belle journée;

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  3. un roman russe avec un héros grec, hourrah!

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  4. bonjour, je ne sais pas si c'est une fiction mais une histoire qui semblerait bien réelle !!

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  5. parfois les chemins de la vie sont tortueux .... c'est souvent dommage pour les enfants qui doivent vivre les fautes des parents ...
    bonne fin de semaine

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  6. Que la vie est dure et compliquée quand l'on vient d'ailleurs. Une histoire bien triste et qui donne une idée des mentalités. Bisous Elena

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  7. Une histoire triste mais si joliment écrite
    Douce journée ELENA
    Bisous
    timilo

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  8. Une histoire triste mais si joliment écrite
    Douce journée ELENA
    Bisous
    timilo

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  9. tres belle histoire, tres difficile pour un "etranger" de s'integrer dans un pays nouveau ! certains reussissent, mais il faut bien admettre que nous ne sommes pas tres accueillants en général ! difficile pour certains d'admettre la difference ! bon sejour dans votre campagne, bonne santé amities et bises

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  10. un bien joli texte, j'aime ta manière d'écrire. non je me suis inspirée de plusieurs photos de lac des Pyrénées. hier premieres pluies depuis juin, les sols ont absorbé comme une éponge. bon week-end. bises . celine

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  11. Un très joli récit très proche malheureusement de la réalité de tous ceux qui viennent d'ailleurs. Merci pour ce partage et bonne journée

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  12. je te souhaite une douce soirée ce samedi est super beau comme un jour d'été ...

    demain je passerais aussi en soirée

    gros bisous et a demain

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  13. mon coucou tardif ,

    comme prévu j'ai passé la journée au jardin botanique , vous verrez bientôt les photos , comme c'était sous la pluie

    je suis restée dans les serres avec les plantes tropicales bien au chaud

    et juste photographiés les fruits d'automne qui commencent dans une des allées ....

    la semaine qui arrive il devrait faire beau, même chaud ...on verra

    bisous et douce fin de we

    a demain

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