vendredi 20 septembre 2024

 

 DEDOUBLEMENT

Elle se savait différente des autres enfants, elle jouait un double rôle et cela ne lui plaisait pas toujours mais comment faire autrement ?

A onze ans, Katia était une grande fille blonde, le midi elle s'achetait à manger, son père ne rentrait que le soir. Le repas expédié, Katia préfère jouer avec ses copains, elle n'a pas d'amies, les copains lui suffisent. Ensemble ils font du patin à roulettes, de la trottinette, ils jouent aux billes ou aux petites voitures et Katia se sent heureuse avec eux. Il y a une balançoire dans la courette et ils en font à tour de rôle.

Le soir son père rentre du travail et Katia redevient une fille bien élevée, elle ne dit plus de gros mots, elle s'intéresse à Tchékhov, Pouchkine mais aussi Maupassant ou Victor Hugo en passant par les BD. Elle a l'impression de vivre comme au temps où son père était jeune et riche;  malgré elle. Elle se conduit de la même façon , elle prend les manières des fillettes du début du XXe siècle, tout l'intéresse sur cette époque qu'elle n'a pas connu, elle oublie ses copains, le reste du monde, elle vit avec son père, les souvenirs de son père, les livres et le passé.

Si Katia a beaucoup de connaissances en russe, ses notes à l'école laissent à désirer. Son institutrice ne l'aime pas, elle ne la comprend pas, la trouve fière et se venge comme elle peut. Après plusieurs vexations, Katia se renferme et finit par ne plus jouer en récréation, elle attend la sonnette pour aller jouer avec les garçons de la rue, tous ont des problèmes mais ils l'ont accepté, avec eux ,elle est bien.

Son père ne comprend pas pourquoi cette année les notes ont tant baissé, il lui dit " pourquoi tu ne me demandes pas de t'aider, l'an dernier tu travaillais bien  pourtant ?" Oui, pense Katia, mais l'an dernier elle était dans une école privée et la maîtresse l'aimait bien c'était l'amie de grand-mère, depuis on a déménagé dans ce sous-sol, et j'ai changé d'école. La mort de grand-mère a tout changé, maman ne sait pas aider, elle ne peut rien  dire, et Katia baisse la tête respectueusement, elle aime trop son père pour le blesser.

Jeudi matin, Katia se lève plus tard, elle court dans la cuisine, son père lui laisse une illustration comique avec des vers l'accompagnant, c'est le meilleur moment de la journée, puis elle se prépare et court jouer avec ses copains, elle essaie de trouver une heure pour ses devoirs, elle a promis et une promesse doit être tenue.

Dehors, Katia voit un couple se disputant, l'homme rejette une femme qui se raccroche, un cri et la femme tombe, l'homme la laisse à terre et continue son chemin. Elle regarde discrètement si la femme a besoin d'aide, elle se relève et repart de l'autre côté en pleurant. Cet incident frappe la fillette, elle ne répond pas aux copains qui l'appellent et s'enferme chez elle. "Je jure que jamais cela ne m'arrivera" dit-elle pour conjurer le sort, elle prend un livre de Pouchkine et se laisse bercer par la fille du capitaine, elle se sent bien, son père la trouve ainsi, il lui sourit et la vie redevient normale, presque belle.

Ce soir-là M et ses 2 filles devaient venir à la maison, Katia les admiraient, elles étaient bien habillées, pas comme elle, étudiaient bien et son père en disait beaucoup de bien. A leur entrée elle sentit le mépris des filles, leur appartement était somptueux par rapport à leurs 2 pièces dans un sous-sol , la gène de Katia devant les autres filles, mieux loties, devenait paralysante. Elle leur montra ses derniers livres mais elles les avaient déjà lus puis les soeurs parlèrent ensemble oubliant sa présence, elle y était habituée malgré la douleur qui  montait.

Après le départ son père lui fit remarquer que les fillettes étaient très bien élevées, il était si content qu'elle ne lui dit pas qu'elle ne voulait plus les voir chez eux.

Son père était venu en France après la révolution, officier capturé, il s'est enfui pour rejoindre ses parents, il a fallu travailler dur pour élever ses frères de 15 et 16 ans plus jeunes que lui. Ses diplômes n'étaient pas reconnus, comme beaucoup de Russes il devint chauffeur taxi. De famille noble il côtoyait l'aristocratie russe, beaucoup étaient plus jeunes et avaient étudiés en France mais d'autres comme lui n'avaient pas beaucoup de moyens. Tous se voyaient chez les uns ou les autres, riches ou pauvres. Katia étaient habituées à tous les milieux et s'y adaptait assez bien tant que ce n'était pas chez elle. Elle ne savait pas ce qui la gênait le plus, ne pas avoir de mère comme les autres, elle ne l'avait pas élevée, l'appartement insalubre, ou leur pauvreté ? Ses sentiments lui faisaient honte, elle ne se sentait pas comme les autres pas plus parmi ses copains, ignorants tout de ses origines que parmi la famille ou amis de la même origine vivant autrement, le tout en fit une fillette solitaire plongée dans les livres, ne mangeant plus le midi.

Ainsi la médecine scolaire décerna une anomalie, après des examens, Katia apprit qu' elle avait un voile aux poumons et partirait au préventorium. Son père lui parla d'un mois ou deux mais ça dura un an.

Au retour Katia se sentit beaucoup plus française, elle n'éprouva plus le besoin de revoir ses anciens copains et fut presque contente de partir en pension.

Elle resta longtemps assise entre deux chaises, le jour où Katia alla en Russie, on fêta la Parisienne, et là elle comprit à quel point elle se sentait française.

Elena 2024

 

6 commentaires:

  1. Parfois une maladie, un accident peut tout faire basculer dans le bon ou mauvais sens. J'espère que tu seras bien entourée pour ton anniversaire
    bisous et passe un bon moment

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    1. Oui nous serons une vingtaine que la famille proche ! Bisous

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  2. bonjour Ln une jeune vie a jouer un double rôle , quitter sa patrie de naissance, ce n'etait pas facile, elle a fini par retrouver son equilibre en devenant française, une belle histoire ! bon anniversaire chere amie , bises

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  3. Tout d'abord très bon anniversaire santé avant toute chose mais aussi une belle fête entourée de personne qui t'aime famille et autre.
    Pas facile de se sentir *déclassée* par l'appauvrissement et le déracinement mais cette petite s'en est sortie et bien on dirait. Bisous bon weekend

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