LA
VERITE
Alice tu voulais partir demande Luc ? – Oui, dis-je –
Je ne peux pas mentir, c’est inné. Luc est un flirt, je ne l’aime
pas et je cherche la sortie. Il est triste, je n’y peux rien.
Les
médecins puis psychiatres se sont penchés sur mon cas, ils ont fini
par dire « Elle a un défaut au cerveau, très léger, il peut
être la cause de son problème "
Depuis mes premiers
souvenirs, je ne pouvais pas mentir même si je voulais, cela sortait
tout seul sans que ma volonté le veuille. Il en résultait parfois
des incidents amusants, du style :
Ton papa est là ?
… Oui !… Il ne vient pas ?… Il ne veut pas vous voir…J’avais
4 ou 5 ans, on pouvait dire « C’est mignon » mais à
dix ans si on me disait :
Tu ne m’aimes
pas, à l’école ? je disais aussi « oui » quand
c’était vrai sans pouvoir me retenir. Bien sûr je n’ai jamais
pu cacher mes mauvaises notes et aucune copine ne m’a jamais
confié ses secrets, instants pénibles dans ma vie, on se méfiait
de moi, ils avaient raison.
Qui a volé le
crayon de Claude ? … Françoise Madame répondais-je et
pourtant je n’aimais pas les fayots ou rapporteurs. La honte
m’assaillait et je n’osais plus parler aux enfants.
Mes parents se rendaient compte de la situation délicate où
je me trouvais, ils me firent le tour des médecins puis des
psychiatres et se contentèrent de la thèse qu’il me manquait un
élément au cerveau ou tournait mal, on ne pouvait absolument rien y
faire. Là je fis une petite dépression, j’avais déjà 13 ans,
puis, je décidai de vivre avec. C’est ainsi que je pris quelques
décisions : je prévenais les gens avant qu’ils me parlent –
Attention, je ne peux pas mentir et même si je fais mal je serai
obligée de dire la vérité. Certains croyaient que je provoquais,
ils se taisaient ou essayaient pour voir jusqu’où ils pouvaient
aller ? Un professeur me dit un jour :
Es-tu amoureuse d’un
de tes camarades de classe ? Nous n’étions pas en cours, en
récréation et je n’étais pas seule, je rougis en répondant
–Non… Alors d’une autre personne continuas-t-il, de qui
? … De vous fis-je rouge comme une tomate, gêné, il se tut et
partit.
La
situation devenait vraiment intolérable. Je n’avais pas d’amis,
à force de gaffes, tout le monde se méfiait de moi. Je revois Louis
me suppliant – Surtout ne dit pas que tu m’as vu avec Lola,
jamais Céline ne me le pardonnera. Evidemment, Céline me demanda si
j’avais vu Louis et avec qui, je le lui dis, je n’arrivai pas à
me taire…
Il était temps que je me préserve, pour commencer j’avais
décidé de ne plus parler. Je réussis à me taire quand mon oncle
me demanda si j’allais rentrer à l’université mais malgré moi
je hochai la tête, le résultat était le même. Je voulais être
actrice, ne pas faire l’université (rêve de mon père) juste les
cours pour être actrice.
Mon
père avait ri – Une actrice qui ne sait pas mentir comment
feras-tu ? Je réfléchis à cette éventualité - Je peux faire
du comique, j’ai toujours fait rire, au moins là ce sera pour la
bonne cause. Mon père sourit, il n’y croyait pas alors il me
laissa passer un casting.
Le
soir en rentrant, je chantais, cela ne m’était pas arrivé depuis
des années, courant vers mon père je lui criai – Je suis prise,
je jouerai un rôle qui raconte mon histoire ! Mon père se
retourne étonné - Ils vont faire une pièce spécialement
pour toi ? – C’est ce que j’ai compris, ils étaient très
intéressés par mon histoire et m’ont posé plein de questions, je
n’ai même pas fait d’essais au fait.
Ma mère ne savait pas comment me prendre, elle s’occupait
de mes frères et sœur et me laissait un peu de côté. Je la
comprenais mais par moments j’en ai souffert.
Maintenant
que je viens d’avoir 18 ans, elle est soulagée, elle ne se sent
plus responsable de moi et l’idée de théâtre ou autre ne la
dérange pas du tout.
Je
réussis à rendre ma mère complice, lui demandant de me faire
réciter des textes.
Elle
me fit remarquer avec un grand étonnement : - Mais tu arrives à
mentir ?
Je ne mens pas,
je répète un texte qui ne me concerne pas … En effet, je pouvais
jouer, tant qu’on ne me demandait pas à moi mais à une inconnue
en
l’occurrence l’héroïne du texte, je pouvais mentir, souffrir,
donner tous les sentiments que je ne pouvais donner dans la vie
courante.
Il ne
me restait plus qu’à passer des castings pour entrer en tant que
comédienne, j’étais capable de jouer du comique, comédie ou
drame.
C’est ainsi que je
fus prise dans un rôle dramatique au théâtre de la Gaité, je
n’avais pas parlé de mon handicap et je fus prise de suite.
Les
personnes ne m’avaient pas posé de questions indiscrètes et il
n’y a pas eu d’incidents, je rentrai heureuse de cette réussite,
la première de ma vie !
Tous les matins je me retrouvais avec les autres acteurs,
nous répétions, ensuite j’évitais leur contact de peur de
gaffer. Pas d’amis, des camardes, rien de plus, ma vie depuis
toujours alors je m’y faisais à la solitude. Dans ma loge je
lisais, j’écoutais des cassettes ou j’écrivais mon courrier…
Luc
était un bel homme brun, séduisant et Don Juan. Je le savais mais
je n’ai pas su me préserver, nous sommes sortis durant un mois. Le
jour où il tourna autour d’une nouvelle arrivée, je décidai de
partir avant de trop souffrir, la coupure fut vite terminée. Seule,
je pleurais un peu, je me consolais en sachant que d’autres
m’aimeront pour moi, je ne pouvais pas ne pas y croire.
Nous allons jouer demain, ce sera la première et le tout
Paris sera là. J’ai un trac fou, les autres me disent que c’est
naturel, je hoche la tête et la peur ne me quitte pas. Je passe la
journée à répéter avec Lucas, mon partenaire dans la pièce.
Le
soir nous sommes morts de fatigue :
Tu n’as pas le
trac ? Mais si, répond Lucas, seulement après 5 ans je
commence à le gérer, et toi tu es verte de trouille … Je ris
pour me donner contenance et ne dis rien. – Tu viens dîner à la
pizzeria du bas et après tu iras te coucher me conseille Lucas –
J’arrive lui dis-je en me préparant.
Après
avoir ingurgité une bonne pizza puis une glace, je me sens mieux,
Lucas est un compagnon très gai et n’a pas arrêté de me faire
rire, il ne m’a pas mis mal à l’aise une seule fois.
Je te raccompagne ?
J’accepte en regardant ailleurs, je n’avais pas envie d’être
seule.
Je peux monter
demande Lucas arrêté devant ma porte. Comme j’aimerai pouvoir
dire « Non, c’est trop tôt » mais mes lèvres disent
« oui » et des larmes coulent sur mes joues.
Etonné,
il me demande … Pourquoi ces larmes ? Là j’avoue tout,
l’horreur de ne pouvoir mentir parfois, ma vie cassée à cause de
ce handicap…
Il me
prend par l’épaule et me conduit chez moi, m’embrasse sur la
joue et repart sans se retourner. Je m’endors en pleurant…
Le lendemain, tout le monde est un peu nerveux, nous
préparons les dernières répétitions, peu pour ne pas tout
oublier. Lucas m’a souri en arrivant, c’est tout, mais je me
sentis pousser des ailes.
Vers
17 h la matinée eut lieu, une fois entrée dans la salle, je ne
regardai personne et me concentrai entièrement à mon texte et aux
acteurs avec qui je jouais, je savais que mes parents avaient eu des
invitations mais j’évitais de regarder dans la salle.
Le
dernier acte fini, les applaudissements jaillirent de la salle, je
vis mes parents applaudir, ils étaient venus et j’en fus heureuse,
ils me reconnaissaient dans cette vocation.
Les
critiques étaient bonnes, mes parents m’avaient complimenté, ils
étaient fiers de moi. Lucas entra dans la loge avec un petit bouquet
de fleur, je levai la tête étonnée … C’est pour te remercier
dit-il sans toi j'aurai joué moins bien mon rôle – Comment ?
– Tu fus la partenaire idéale insista-t-il et il sortit
discrètement saluant mes parents.
C’est
ainsi que je trouvais ma vocation et un futur fiancé charmant malgré
mon défaut souvent gênant.
Elena