LE BATEAU
Il prit son balluchon, l’a mit sur son épaule, des yeux il fit le tour
de la pièce, enfin sortit en soupirant. Il salua le cafetier qui ouvrait,
continuant son chemin le regard crispé, il tourna à droite et se précipita vers
le car qui arrivait, il monta et s’assit en respirant fort.
Il compte instinctivement les stations, il descendait à la cinquième,
il se retrouva devant le chantier. Il dit « Bonjour » à plusieurs
personnes qu’il connaissait mais refusait de s’arrêter, son visage des mauvais
jours mettait une barrière entre lui et les autres.
Il descendit dans la cale, personne ne s’étonna, il travaillait sur ce
bateau depuis des années, il se cala de son mieux et attendit le départ, il
savait que personne ne penserait à le chercher, ils penseraient qu’il était
reparti sans se faire remarquer.
Il attendit près d’une heure avant que le bateau parte, il sourit tout
seul, il savait que maintenant il allait en Grèce, jamais sa femme n’irait le
chercher là-bas, il avait changé de nom, de papiers et n’avait plus l’intention
de subir ses jérémiades, ses pleurs, ses hystéries, il ne la supportait plus,
il ne voulait plus d’elle. Il avait essayé de divorcer, étant croyante, elle
avait refusé, il avait cherché depuis un an la façon de se séparer en bon
terme, elle refusait tout, il lui avait proposé de lui laisser la maison, une
part d’argent mais rien ne lui convenait. A bout il décida de faire ce voyage,
personne n’était au courant, les enfants étaient grands mais il ne leur avait
rien dit, il voulait sa liberté, il en crevait, enfin l’idée de partir sans
rien dire germa en lui, il avait réussi et son visage brillait de joie.
Le bateau allait accoster, il sortit de sa cachette, alla
sur le pont, le balluchon sur son épaule, personne ne le remarqua, il prit la
queue avec les autres pour descendre, il prit la passerelle pour descendre, un
regard le força à regarder en face de lui, il vit sa femme qui l’attendait, il
faillit tomber, elle était accompagnée d’un policier. Il serra les lèvres prit
un air froid et s’approcha d’eux, le policier lui demanda son nom, sans rien
dire, il tendit ses faux papiers, le policier le remercia et le laissa partir.
Sa femme commença à l’appeler, il se fit sourd, continuant son chemin se
bouchant les oreilles mentalement.
Enfin il sortit, il soupira, personne ne le suivait, maintenant elle ne
pourrait rien contre lui, il irait sur l’île d’Ios, si elle avait le malheur de
venir, il la noierait, elle ne savait pas nager ; l’idée lui plaisait, il
put continuer son chemin la tête haute sa liberté il l’avait conquis, il avait
donné 20 ans de sa vie à une mégère, il voulait vivre pour lui maintenant, rien
ne pourra l’en empêcher.
L’homme continua son chemin vers l’île d’Ios, il se demanda comment sa
femme avait pu le retrouver, il rit brusquement « Mais c’est évident, elle
fouille mes affaires et mon billet était bien étalé » Le rire se changea
en colère, il se retourna pour voir s’il était seul, il ne vit rien de suspect
et continua son chemin. Il arriva chez la logeuse à qui il avait demandé de lui
louer une chambre pour deux mois, ensuite il verrait où il irait ;
d’origine grecque il connaissait la langue et pensait demander l’hospitalité
voire la nationalité.
C’est en se retournant qu’il la vit venir à lui, elle était seule, il
descendit vers elle calmement :
-
Tu es venue pour
me faire une scène ou pour me ramener de force ?
-
Ni l’un, ni
l’autre, j’aimerai que tu penses aux enfants, les jumeaux n’ont que 18 ans et
ont besoin de toi.
Il ne dit rien la regardant durement, elle se servait toujours des
enfants pour obtenir ce qu’elle voulait. Il lui prit le bras calmement, et
l’emmena se promener au bord de la mer.
Elle fut étonnée puis pensa qu’elle l’avait touchée en parlant des
jumeaux, il faisait beau, trop chaud pour voir beaucoup de monde à
cette heure. Il savait qu’elle ne savait pas nager, doucement il l’attira vers
lui, l’embrassa avec un effort presque surhumain, elle se laissa faire surprise
et heureuse. Lentement il s’approchait de la mer, il joua avec elle au bord de
l’eau tout en l’entraînant, elle ne vit rien. Elle se rappela ses premières
vacances avec lui, les jeux dans l’eau, elle savait qu’il la rattrapait
toujours dès qu’elle perdait pied. Brusquement elle se sentit couler, elle
l’appela de toutes ses forces, il sortit sans même se retourner ; il jeta
un coup d’œil, ne vit personne et se pressa de rentrer chez la logeuse, à cette
heure elle devait faire sa sieste et ne saurait pas qu’il était sorti.
Personne n’aurait l’idée de la chercher ici, il écrirait aux enfants
quand il aura trouvé du travail et un logement dans une grande ville.
Il n’avait aucun remord, juste un soulagement d’être sûr d’avoir enfin
trouvé la paix.
Elena