Au
village il y avait un événement de taille, il faisait jaser depuis un mois.
Figurez-vous que le père Foussais avait trouvé un nouveau locataire pour sa
vieille maison, celui-là n’était pas comme tous les autres qui défilaient, il
était noir !
Le
père Foussais n’arrivait pas à vendre sa maison, il en demandait de trop, il
avait résolu le problème en demandant un petit loyer conjugué de gros travaux à
exécuter. Beaucoup passaient, restaient quelques mois, las ils repartaient.
Cette fois le père Foussais avait dit :
-
Celui-là il va rester, il va même acheter la
maison, je vous le dis !
Il y avait les sceptiques qui disaient :
-
C’est pas parce qu’il est noir qu’il
travaillera mieux, je voudrais bien voir ça !
Les discussions allaient bon train, petit à petit la
doyenne du village réussit à avoir une liste de renseignements sur le futur
locataire, elle alla trouver Marie et lui dit :
-
Tu savais, toi, que le noir avait une femme
blanche et un enfant ?
-
Non, et toi d’où le sais-tu ?
-
Je peux pas le dire, tu verras il ne restera
pas longtemps, j’aime autant je n’ai jamais vu de noir, je crois bien que
j’aurai peur !
-
Dame s’il est trop noir je ne lui vendrai pas
mes œufs tellement j’aurai peur renchérit Marie.
Le grand jour
arriva, les nouveaux locataires arrivèrent, Francis était un homme noir
d’origine africaine, sa femme était
blanche et l’enfant d’un joli métissage : il ressemblait à un ange.
Les arrivants
dirent bonjour aux voisins tassés pas loin d’eux et se mirent à tout ranger,
ils avaient du travail et n’avaient pas le temps d’écouter ce qui se disait.
Marie parlait
à la doyenne :
-
Boudiou, j’aurai jamais cru qu’on puisse être
aussi noir, c’est bien la première fois que je vois ça ! J’aurai peur de
passer devant.
-
Moi de même, sa femme n’a pas peur du noir avec
lui, répondit la doyenne.
Les cancans
faisaient le tour du village, il faut avouer que certains n’étaient pas du tout
du même avis, ils étaient même allés rendre visite aux nouveaux arrivants, leur
proposant de l’aide. L’enfant jouait dans la cour, son sourire éclairait son
joli petit visage, les gens ne pouvaient s’empêcher de lui sourire, dire un mot
gentil. L’enfant charma le village y compris les mauvaises langues, la femme
travaillait beaucoup dans la maison pour l’arranger et le week-end le couple
travaillait à deux.
Au bout d’un
mois ou un peu plus, Francis invita le village pour fêter la fin du gros des
travaux, il faisait un barbecue dans le jardin.
De nouveau
les langues se délièrent, la question était vitale « Faut-il aller
chez le noir ?» Certains l’appelaient encore comme ça ! Le dimanche
arriva et les 2/3 du village fut rassemblé chez les nouveaux locataires, la
curiosité de voir la maison rénovée joua beaucoup dans la décision. Francis
avait un caractère jovial, il était aussi très serviable, à la fin de la soirée il avait promis d’aider
deux paysans. Le village l’accepta, même Marie vendit ses œufs à sa femme, elle
aimait voir l’enfant et le gâtait.
Un an passa,
un jour Francis annonça qu’il partait pour un autre village à 50 km de là, il
allait acheter une maison à retaper, cela lui reviendrait moins cher. Les gens
s’affolèrent :
-
Qui c’est qui va venir à votre place ?
-
Massias et sa famille répondit Francis.
Le choc fut
dur, pendant ce mois on ne parla plus que de Massias. Il faut dire qu’il vivait
avec sa nièce, le curé n’a pas voulu les marier, le maire a refusé, ils ont
deux enfants, les gens disaient : « C’est y pas
malheureux ! »
La doyenne
alla voir le père Foussais et lui dit très en colère :
-
Père Foussais, pourquoi donc vous ne baissez
pas le prix à Francis au lieu de louer à un mécréant ?
-
Faut savoir ce vous voulez la mère, vous
« n’avions » pas voulu du noir et maintenant vous refusez un
blanc ? je ne connais pas de jaune répondit le père Foussais en riant.
Vexée la doyenne ne répondit pas.
Francis
invita le village pour faire ses adieux, tout le village fut réuni, certains
étaient émus par le départ, il promit de revenir régulièrement une ou deux fois
l’an.
Il y eut de
la peine après le départ, la doyenne dit à Marie :
-
Je savais bien que les noirs étaient comme
nous !
-
Même mieux que certains, pour sûr
répondit Marie.
Francis
revint régulièrement, il rendit service à plusieurs agriculteurs, les gens
l’invitaient avec un plaisir immense. A sa dernière visite, il annonça une
nouvelle grossesse pour sa femme, il dit :
-
Je vous inviterai à venir chez moi quand le
petit naîtra.
-
Je viendrai avec vous, je n’ai pas d’auto dit
Marie. La doyenne demanda la même chose, Francis sourit et leur dit :
-
Vous n’avez plus peur de moi maintenant, vous
ne pensez plus que je suis cannibale ? Il riait en disant ça et ses yeux
pétillaient de malice.
Les deux
femmes ne se sentaient plus si à l’aise que ça, elles ne savaient plus quoi
dire. La doyenne répondit fermement :
-
Dame, quand on ne connaît pas, on ne sait
pas, maintenant nous vous connaissons.
Ainsi
continua l’amitié de Francis avec le village, la vie reprit avec des nouveaux
cancans à propos des nouveaux locataires.