J’avais appris à lire et à écrire avec mon père en russe, j’avais aussi
des notions de calcul et d’autres matières comme l’histoire ou la géographie
mais je ne parlais pas très bien en français par contre je le comprenais
correctement.
A six ans ma mère, qui travaillait à domicile en peignant des châles,
me présenta une grande fille de treize
ans nommée Yvette qui devait m’emmener et me ramener de l’école. Je
n’avais pas fait la maternelle et je ne connaissais personne car mes parents ne
me laissaient pas jouer dehors à cause de la rue où passaient les voitures.
A l’école je me sentis bien seule, j’eus beaucoup de réflexions du
genre « tu es d’où ? « Pourquoi tu parles pas comme
nous ? » Mais le pire c’était quand je sortais, les garçons me
lançaient des cailloux en me traitant de sale russe et Yvette avait du mal à le
gérer. D’une part je détestai l’école car on me considérait comme un être à
part et d’autre part je décidai d’écrire aussi bien que les autres et je
m’appliquai beaucoup.
Un jour on nous demanda de poser pour une photo dans une cabine,
c’étaient comme des photomatons, je ne connaissais pas et je me suis sentie
effrayée, on le voit sur la photo car j’étais prête à pleurer ne comprenant pas
ce qu’on voulait me faire. J’étais la première étant assise devant.
Malgré tout, le matin je traînai pour ne pas aller en classe.
Cette année papa ramena à la maison une radio et nous pouvions capter
radio Moscou. Maman retenait les contes pour me les raconter et parfois
j’entendais des chants russes. Ma sœur n’habitait plus chez nous et nous
n’étions que tous les trois et la sérénité était revenue ou du moins en
apparence.
Le soir il nous arrivait de jouer aux cartes, des jeux russes surtout
pour enfants et un soir je dis en riant :
-
Je donne ma
parole d’honneur que je n’ai pas la dame de cœur,
-
Montre ton jeu
me dit papa d’un ton sec et bien sûr je l’avais.
-
On ne donne pas
une parole d’honneur quand on a l’intention de mentir c’est très grave ce que
tu as fais, la parole d’honneur ne se donne que pour des choses très
importantes. Va te coucher, je ne joue pas avec une menteuse.
J’étais trop jeune pour bien comprendre mais ses mots sont restés
gravés dans ma mémoire.
En même temps je commençais à percevoir qu’il y avait une différence
entre les adultes et moi, ils pouvaient me mentir sans que ce soit important
mais pas la réciproque, quand c’était moi ça devenait très grave, ce problème me trotta longtemps
dans la tête. J’étais déjà introvertie et je n’en parlai à personne, plus tard
ce fut trop tard je l’analysais toute seule.
Au moins à la fin de l’année je savais me débrouiller pour lire et pour
écrire, j’étais la deuxième de la classe et mes parents furent fiers de moi.
Je ne fis qu’une année scolaire à Villejuif et je connaissais très peu
les enfants de la ville aussi quand je venais je restais avec maman.
Elena 2015