Serhyi Zhadan
né le 23 août 1974, à Starobilsk , est l’un des piliers de la
littérature ukrainienne post-soviétique. L’œuvre de ZHadan a fortement marqué
les générations des lecteurs grandis dans les années 1990–2010 en lui assurant
une exceptionnelle notoriété dans son pays, avant tout auprès des jeunes
adultes.
Ses œuvres font l’objet de
traductions en plusieurs langues européennes.
Alors je vais en parler
Serhiy
Zhadan – d’après la trad. en anglais de John Hennessy et Ostap Kin
Alors
je vais en parler :
de
l’œil vert d’un démon dans le ciel coloré.
Un
œil qui épie en marge du sommeil d’un enfant.
L’œil
d’un malade dont l’excitation remplace la peur.
Tout
avait commencé avec de la musique,
avec
des cicatrices laissées par les chansons
entendues
lors des noces d’automne avec d’autres enfants de mon âge.
Les
adultes qui jouaient de la musique.
L’âge
adulte défini par cela — la capacité de jouer de la musique.
Comme
si quelque note nouvelle, responsable du bonheur,
apparaissait
dans la voix,
comme
si ce talent était inné en l’homme :
être
à la fois chasseur et chanteur.
La
musique est le souffle caramel des femmes,
la
chevelure au parfum de tabac d’hommes qui mélancoliques
se
préparent au combat au couteau contre le démon
qui
vient de gâcher la noce.
La
musique en-deça du mur du cimetière.
Les
fleurs qui poussent dans les poches des femmes,
Les
écoliers qui jettent un œil furtif dans les chambres de la mort.
Les
sentiers les plus battus mènent au cimetière et à l’eau.
Tu
ne caches que les choses les plus précieuses dans le sol—
l’arme
qui mûrit de colère,
les
coeurs en porcelaine des parents qui sonneront
comme
les chansons d’une chorale d’écoliers.
Je
vais en parler—
des
instruments à vent de l’angoisse,
de
la cérémonie de noce aussi mémorable
que
l’entrée à Jérusalem.
Régle
le rythme brisé du psaume de la pluie
sur
ton coeur.
Des
hommes dansent comme ils éteignent
un
feu de steppe avec leurs bottes.
Des
femmes s’accrochent à leurs hommes dans la danse
comme
si elles refusaient de les laisser partir en guerre.
Ukraine
de l’est, fin du deuxième millénaire.
Le
monde déborde de musique et de feu.
Dans
l’obscurité, s’élèvent la voix de poissons volants et d’animaux chanteurs.
Depuis,
presque tous ceux qui s’étaient mariés sont morts.
Depuis,
les parents des gens de mon âge sont morts.
Depuis,
la plupart des héros sont morts.
Le
ciel se déploie, amer comme dans les romans de Gogol.
En
écho, le chant des moissonneurs au travail
En
écho, la musique de ceux dans les champs charrient des pierres.
En
écho, sans arrêt.