vendredi 23 mars 2018

JADIS


Monique était assise près de l’âtre, elle se souvenait des châtaignes qui sautaient dans le feu, des bûches qu’elle coupait juste à la grandeur de la cheminée ; elle avait aimé ce temps c’était sa jeunesse, la convivialité qui n’existait plus.
Son gendre rajoutait une bûche dans l’insert, Monique la regardait, le crépitement n’était pas le même ni la beauté du feu. Elle se taisait comme elle avait appris à le faire depuis la mort de son mari. Sa fille l’avait prise chez elle, Monique ne pouvait plus se mouvoir seule et la maison de retraite médicalisée coûtait trop cher.
Personne n’avait demandé l’avis de Monique, elle n’était pas heureuse chez sa fille, non qu’elle lui fasse du mal ou la maltraite mais elle aurait voulu rester chez elle avec une fille qui serait venue l’aider à se laver et s’habiller, après elle pouvait se débrouiller avec un fauteuil roulant. Les enfants n’ont pas voulu , sa fille aînée a décidé de la prendre, sans grand enthousiasme, elle avait du travail avec la ferme et ses enfants adolescents.
Les voix ronronnaient autour de Monique, elle n’écoutait pas, elle se souvenait de Maurice qui l’avait demandé en mariage devant la cheminée, sa mère avait accepté pour elle, comme elle était rouge et se sentait gauche devant lui, pourtant elle l’aimait. L’amour ne durait qu’un temps, après le premier enfant, Maurice alla courir les filles pendant qu’elle travaillait à la ferme et aux champs, les enfants lui avaient pris beaucoup de temps dans sa vie, elle en avait eu huit.
Monique n’avait pas le temps de chanter des berceuses à ses enfants, elle surveillait qu’ils se lavent, aillent à l’école, mangent proprement et ne déchirent pas leurs habits, le surplus était pour les familles riches.
Sa fille n’avait que deux enfants, elle leur racontait des histoires, les embrassaient, trouvait du temps pour jouer avec eux ; cela la dépassait, dans le temps le travail prenait tout son temps, sa belle-mère était sur son dos, elle devait aussi travailler pour elle. Elle ne se souvenait plus quand avait-elle eu une minute à elle dans sa jeunesse ? Avant de se marier, un peu, puis après le mariage tant que Maurice ne s’était pas lassé de ses caresses. Après elle faisait comme ses compagnes, elle travaillait tôt et se couchait tard, elle mangeait rarement avec la famille, elle grignotait dans la cuisine entre deux occupations.
Malgré la fatigue, Monique avait aimé cette vie, elle se souvenait quand ils se retrouvaient tous dans le pré, après avoir travaillé le champ, ils mangeaient ensemble, les hommes se reposaient, les femmes débarrassaient et faisaient la vaisselle dans le ru en racontant des blagues et riant.
Il ne fallait pas grand chose pour rire à l’époque, aujourd’hui, sa fille ne riait pas souvent, pourtant elle avait plus de temps libre que sa mère n’en avait eu.
Monique s’ennuyait, sa fille lui avait laissé des magazines à lire, cela l’amusait dix minutes, elle en avait vite assez et voulait autre chose, elle tricotait un peu, ses mains lui faisaient mal et le médecin avait dit « le tricot, pas plus d’une heure par jour » Elle ne pouvait plus coudre voyant moins bien, elle se sentait bonne à rien, personne ne le remarquait sauf elle. La souffrance devenait intenable à vivre ainsi sans rien faire d’utile, elle n’était pas habituée et n’aimait pas. Parfois un des petits-enfants venait lui tenir compagnie, elle ne savait pas comment lui parler ; au début elle avait essayé de lui enseigner la vie agricole, les chants des oiseaux, les légendes du pays, l’enfant ne comprenait pas et demandait une histoire comme maman ; elle ne connaissait pas. Petit à petit elle décida de parler le moins possible et que pour les choses utiles, ainsi elle perdait moins son temps et pouvait vivre dans ses souvenirs avec Maurice, malgré ses tromperies, ils avaient été heureux, ils avaient su rire, danser, s’amuser le jour du carnaval, inviter ou aller aux veillées.
Monique allait atteindre 90 ans, son mari était mort il y a 20 ans, elle vivait chez sa fille depuis deux ans, les autres enfants venaient la voir une ou deux fois par mois pour se donner bonne conscience. Plus rien ne la retenait ici-bas, elle s’approcha avec son fauteuil vers la fenêtre, elle était au second étage ; elle réussit à bousculer son fauteuil et glisser vers la rampe de la fenêtre, elle entendit crier un des petits-enfants, fit un effort immense et réussit à glisser par la fenêtre. Elle vit sa vie se dérouler le temps de venir s’échouer sur le ciment. Monique allait rejoindre Maurice, la seule chose dont elle était sûre en s’écrasant.
Elena

13 commentaires:

  1. Terrible, cette histoire, Elena ! mais je comprends cette femme. Au-delà de 90 ans, cela me semble dur de vivre encore, on verra si je pense la même chose si h'y arrive ! Il y a un tel fossé entre les générations !
    Bises et bon week-end

    RépondreSupprimer
  2. ah pas facile de vieillir, une bien triste histoire, mais pourquoi continuer à vivre dans ces conditions, on peut comprendre, je vais vers 91 ! je ne me suis pas encore posé la question !! porte toi bien chere Ln, bisous

    RépondreSupprimer
  3. HELENA conte moi encore une histoire, s t p, avant de mourir.....Tu te souviens , dis, des oiseaux et des fleurs ds les champs....???? Et comme la terre était belle sq j'avais vingt ans !!!!

    RépondreSupprimer
  4. triste mais réaliste et toujours ton super style alors chapeau bas bises ELENA

    RépondreSupprimer
  5. Salut
    C'est terrible cette histoire.
    Il faut en avoir du courage pour faire ce qu'elle a fait.
    Bon week-end

    RépondreSupprimer
  6. Eu já tive o prazer de dizer
    antes; Elena, como vc escreve
    bem...

    Um beijo.

    silvioafonso


    .

    RépondreSupprimer
  7. bonjour
    c'est terrifiant comme histoire, on espère ne pas passer par là
    bisous

    RépondreSupprimer
  8. Comme je la comprends, devenue un objet inutile, voire embarrassant ...
    C'est triste mais tellement vrai.
    Je viens de tester une journée sans rien faire : hé bien, ça m'a tellement énervée que je ne pouvais pas dormir !
    Bon, ça va peut-être venir car avec tous les médocs que je prends, je devrais être assommée.
    Bon week end, en espérant un peu de soleil.
    Bisoux, chère elena

    RépondreSupprimer
  9. Vieillir ainsi, c'est partir chaque jour un peu ...
    Dur dur d'être vieux dans nos civilisations
    Bon et doux weekend ELENA
    Bisous
    timilo

    RépondreSupprimer
  10. Vieillir est déjà une cruauté se voir petit à petit diminuée , ne plus pouvoir faire tout ce que l'on aimait faire , perdre ses repères , son énergie , on devrait décider de sa fin de vie , c'est une décision comme une autre , tu vois je suis seule et je sais que mes enfants ne seront pas présents , ni attentionnés, alors !!!! Quel sujet délicat tu soulèves là , le com de Guy est touchant....Je t'embrasse Eléna

    RépondreSupprimer
  11. Une bien triste histoire Elena...C'est sûr que l'entrée dans le 4ème âge comme on l'appelle aujourd'hui ne se fait pas sans difficultés et que se voir diminuer peu à peu atteint le moral et la dignité. bisous et une douce journée

    RépondreSupprimer
  12. Salut

    Le changement d'heure s'est bien passé vu que je suis réveillé.

    En plus il ne pleut pas alors prions pour que le soleil arrive vite nous réchauffer.

    Bon dimanche

    RépondreSupprimer
  13. je suis toujours épatée par tes textes, j'avoue que j'aime beaucoup. la falaise ne nécessite que peu de dessin, le plus important est la manière de poser le papier cellophane, j'aime utiliser cette technique, c'est toujours surprenant. bises.celine

    RépondreSupprimer