vendredi 3 mai 2019

JEU  FUTURISTE


Depuis deux ans je vis sur l’île, si seulement je savais où elle se situe ? Je ne vois pas de bateaux, et les rares avions ne me voient pas.
Michel est parti, il m’a laissé seule. Il cherche comment revenir à la civilisation, je doute qu’il trouve le moyen de fuir cette maudite île, à moins de construire une barque… Mais avec quoi ? L’île est déserte même pas un arbre !
Je cherche des yeux les oiseaux, ils sont tous partis,  émigration du début de l’hiver. Les quelques baies existantes ne donnent plus de fruits, heureusement qu’il reste la pêche, pas facile de ramener des poissons à la main, la mer devient froide, il faut avoir très faim pour s’y mettre encore. Ensuite  il faut vite s’habiller, nous n’avons pas de chauffage.
Il serait plus simple d’énumérer ce qu’il nous reste : quelques citernes d’eau, un paquet de sucre, un petit pot de nescafé et notre cabane, nous ne l’avons pas détruit pour chauffer, elle nous protégera plus longtemps qu’un feu de bois.
Nous n’avons aucun meuble, si un lit en fer, aucun moyen de communiquer avec les autres… Pourquoi suis-je ici ?

Je me revois, avant notre départ, Michel m’avait poussé à accepter ce jeu, il disait
-         tu verras nous vivons en couple depuis 4 ans, aucun nuage entre nous, il est normal qu’on gagne. Il suffira d’être patient. Comme il se trompait, je l’ai cru, je l’ai suivi.
La chaîne 9A (Radio planétaire, dépendante de la télé) proposait un jeu, il suffisait de partir sur une île inconnue, nous ne devions pas connaître la destination, et là nous devions y rester 3 ou 4 mois maximum, le dernier gagnant était resté 4 mois et 10 jours . Les organisateurs nous laissaient une cabane, quelques provisions,  pour un mois environ, de l’eau en assez grande quantité , ensuite à nous de nous débrouiller. Ce jeu était destiné aux couples mariés ou pas, le couple le plus résistant gagnait une somme rocambolesque, elle nous permettrait d’avoir notre maison, faire un voyage et vivre un an sans travailler.
Nous sommes partis une vingtaine de couples, chacun de nous étaient dispatchés sur des îles différentes. La règle nous interdisait tout objet pour se repérer. Nous avions avec nous un sac contenant des vêtements, le nécessaire de toilette sauf ciseaux ou rasoir (pas d’objets coupants), nous n’avions pas de montres, bref juste quelques livres.  Il était impossible de savoir où nous allions, chaque couple était dans une cabine séparée, impossible de se parler, il faisait nuit, des volets fermaient les hublots, les verrous empêchaient l’ouverture.
Michel avait compté dix jours de traversée et moi neuf, première petite divergence.

Quand le bateau s’arrêta pour la quinzième fois, une personne entra et nous fit descendre. Nous nous sommes retrouvés sur un île grande de quelques kilomètres à vue d’œil. La personne nous montra le cabanon, sans un  mot elle repartit sur le bateau, j’essayai de poser quelques questions en vain.  Michel me tira gentiment en me montrant la vue splendide sur les fleurs sauvages, les baies, les rochers. Il s’en dégageait un côté sauvage et pittoresque. Nous étions frappés, il n’y avait pas d’arbres, juste des buissons, cela donnait du charme à notre île. Dans le cabanon nous trouvions de quoi manger pour un mois et plus d’après nos estimations, une boîte d’allumettes, ensuite il fallait apprendre à faire du feu ... L’eau ne manquait pas et cela nous a tout de suite rassuré – Nous pourrons vivre d’amour et d’eau fraîche dit Michel.
Dans un coin il y avait un lit en fer et à côté une boîte bizarre, je la tournai dans tous les sens –Lâche-là me lança Michel en colère, je la laissai tomber – C’est un désastre cria Michel affolé. Je le regardai sans comprendre ?
- C’est la boîte qui nous permettait de les rappeler pour revenir, comment fera-t-on maintenant dit-il – Il y a bien un autre moyen pour les joindre demandais-je ?- Non, justement pas, il réfléchit et continua – Ils nous ont parlé de cette boîte, ils avaient dit qu’ensuite le seul moyen de revenir serait d’être très malade, ils avaient un appareil qui permettait de savoir à distance si l’un de nous devenait très malade. Je me tais le cœur gros. Par ma faute notre arrivée a très mal débuté.

Une fois installé, tâche très simple avec un grand sac en toile, nous faisons le tour du propriétaire. Je remarque qu’il y a surtout des pierres et quelques vipères, le manque d’arbres m’inquiète un peu, je n’en parle pas à Michel,  j’avais déjà fait assez de bêtises. Les fleurs étaient vraiment splendides, je regrettai l’interdiction de prendre sa caméra ni appareil photo.  Les framboisiers étaient les bienvenus, au moins nous ne risquions pas le scorbut, d’autres baies se trouvaient sur l’île.
-Viens nager me cria Michel en se déshabillant. Je courus dans l’eau et nageait avec un  immense plaisir – Regarde les poissons Michel, tu pourras pêcher dis-je en riant.
Après notre bain, nous avions fait l’amour, nous recommencions notre lune de miel.
Le lendemain, nous avons commencé à nous exercer à faire du feu avec deux pierres, au bout de deux jours Michel avait réussi à faire des étincelles, le manque d’arbres nous empêchait d’avoir des branches, nous pouvions juste allumer les quelques buissons séchés au soleil puis gardés dans le cabanon comme provision.
Le manque de bois fut notre premier gros souci, d’autres suivirent…

Les pluies commencèrent, nous n’avions rien pour chauffer, il ne faisait pas froid, se promener toujours mouillés nous rendait de moins bonne humeur. Michel s’exerça à la pêche, nous n’avions ni fil ni appât, il fallait attraper les poissons à la main, cela demandait une très forte adresse de sa part. Pendant ce temps, je cueillais les fruits, les plantes et herbes qui nous servaient de salade, nous les mastiquions longuement. L’idée venait de Michel, comme nous n’avions aucun moyen de partir sauf si on décelait une maladie conséquente par ordinateur, il fallait tester les herbes, en s’empoisonnant on tomberait malade et les secours viendraient nous chercher.
C’est ainsi que Michel s’intoxiqua deux fois avec certaines plantes, il resta malade un temps assez long, je ne le quittai pas, il vomissait, je pense qu’il avait une forte température puis il se remit de lui-même. A partir de ce jour notre inquiétude augmenta. Fallait-il mourir pour qu’on vienne nous chercher ?

Nous comptions, les jours, mois puis années avec les pierres, il n’en manquait pas sur l’île de la mort, comme nous l’avions appelé au bout de quelques mois. Pendant les essais de Michel avec les plantes toxiques, ne sachant pas pêcher, j’appris à taper sur les serpents pour les tuer , cuire et les manger. Je me munissais de pierres et je les lançais sur le serpent, ensuite j’en prenais une plus grosse et je l’achevais. Nous avions de la viande pour quelques jours, c’était mieux que rien. Michel avait ramené des rats ou autres bêtes du même genre. Les ennuis commencèrent vraiment au début de l’hiver, les fruits ne poussaient plus, les plantes mangeables non plus ; il nous restait la pêche, la chasse aux rats ou vipères.
Nous avions commencé à nous tourmenter sérieusement sur notre avenir, les disputes aussi faisaient partie de notre quotidien :
-         Comment veux-tu construire un bateau sans bois disait Michel – Faisons un feu ripostais-je, on nous verra d’un avion – Gourde, Robinson Crusoé c’est un roman pas la réalité rétorquait Michel. Je me retenais pour ne pas pleurer, je ne voyais pas comment on allait s’en sortir.

Nous avons tenu deux ans, j’ignore combien je pèse mais sûrement 1/3 de moins qu’en venant, idem pour mon compagnon. Que pouvait-il faire ? Il y a dix jours notre dispute fut plus forte que les autres et il partit en disant – Je m’enfuirai, tu verras, peut-être sans toi… Puis je n’ai plus eu de nouvelles, j’ai fait toute l’île dans tous les sens en l’appelant sans résultats. Déjà  deux ans et 10 jours,  il y a de quoi être inquiète , seule c’est  devenu intenable. La fatigue, le froid et la faim m’empêchent de réfléchir clairement.
J’entend un avion, le premier depuis des mois, je regarde stupéfaite, il s’approche et va se poser sur l’île. Avec mes dernières forces je cours vers lui. Une équipe de secours descend en me demandant – Où se trouve le malade ? Ahurie je ne répond pas, un déclic et je crie – Michel, c’est sûrement lui, je ne l’ai pas trouvé, j’ignore où il est.
L’équipe part d’un pas vif et je la suis avec mes dernières forces. Nous le trouvons entre deux pierres évanoui.
Une heure plus tard nous montons dans l’avion, Michel avait repris des couleurs, il me sourit – Je l’ai fait exprès, tu sais les plantes qui m’ont rendu malade, j’en ai repris et tu vois ça marche chuchote-t-il. Fatigué il s’endort appuyé contre moi.

En avion le trajet me paraît assez court, personne ne nous  dit où était située l’île d’où nous venons. Ils acceptent uniquement de nous nourrir , donner à boire, surveiller le pouls de Michel.
Au retour, nous nous sommes retrouvés dans la même salle qu’au départ, la direction de la chaîne nous félicita, donna le chèque, et nous renvoya chez nous après des vagues félicitations. Une personne héla un taxi pour nous, et maintenant il fallait qu’on se débrouille. Michel est trop fatigué et je le laisse se remettre, je réfléchis à ce qui vient de se passer – Pourquoi ils n’ont rien répondu, ignorant mes questions ? Ils ne voulaient pas notre mort me demandais-je un peu effrayée.
Premier but, nous soigner, après comprendre ce qui s’est passé.

Le médecin vient de partir, je commence à me sentir un peu mieux, Michel revient aussi à la surface, il peut parler plus longtemps. Il m’ explique qu’il a fait exprès de se fâcher pour pouvoir exécuter son plan, il savait que je ne le laisserai pas faire.
Maintenant que fait-on ? Pense-t-il tout haut – Je crois qu’il faut revoir les organisateurs du jeu , ils doivent savoir pourquoi personne ne s’est inquiété de nous durant si longtemps dis-je- Mes parents font le tour du monde, ils n’ont pas pensé qu’on risquait quoi que ce soit et les tiens … Je me tus, ils étaient fâchés depuis plus de trois ans. Oui… fit Michel il faut essayer d’éclaircir les choses, trop de ténèbres dans cette affaire.

La chaîne 9A n’était pas au courant de notre départ depuis 2ans, la robotique s’occupe de tout, dès qu’un couple veut revenir il suffit d’appuyer sur le bouton de la boîte et nous sommes prévenus, vous avez cassé la boîte, il était impossible de venir vous chercher dit la responsable – Pas possible que personne ne se soit aperçu de notre longue absence ? rétorque Michel – Vous êtes des milliers à suivre différents jeux, nous ne pouvons pas surveiller chacun de vous, l’ordinateur s’occupe de tout, nous ne sommes que cinq personnes pour tout organiser finit par dire la responsable, comment voulez-vous qu’on voit tout ? J’explose – Alors, on ne fait pas de jeux aussi dangereux si on ne peut pas assumer les imprévus criais-je ! Elle hausse les épaules et quitta la salle.
Michel me prend  le bras et m’emmène à la maison, il téléphone à son avocat, un ami d’enfance, celui-ci lui répond qu’il ne gagnerait pas le procès contre la production, il le lui déconseille fort d’autant plus qu’on a touché une belle somme en tant que gagnants.
Tu te souviens nos parents disaient, dans les années 2008 "ces jeux dans les îles finiront mal", nous ne les avons pas crus fit Michel – Tu as raison, les miens prédisaient qu’il y aurait obligatoirement des accidents sans la surveillance de l’homme sur la robotique, dire que nous avons perdu deux ans et personne ne nous les rendra même pas l’argent qu’ils nous ont donné, ces deux ans de notre jeunesse pourrons-nous les retrouver dis-je en soupirant ?
Michel haussa les épaules et m’embrassa tendrement, il n’avait pas la réponse. Il fallait réapprendre à vivre dans un monde déshumanisé.
 Elena



12 commentaires:

  1. Comme il est bien, ce texte plein d'enseignements ! gagner de l'argent à ce prix, c'est vraiment trop long et dangereux. Ces jeux parfois, mettent la vie des candidats en danger, effectivement.
    On est rentrés mais pas d'Espagne, on était sur le canal latéral de la Garonne et on a fait du vélo avec le beau temps.
    Bises et bon week-end.

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  2. ça fait froid dans le dos mais ton texte est tellement réaliste, tellement bien écrit que tu devrais le faire publier ! Il ferait réfléchir tous ceux qui veulent participer à ces jeux...dangereux et tout ça pour passer à la télé ou gagner de l'argent.Bisous et merci pour ce partage

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  3. Bonjour Elena,
    La première fois que je suis allée à Saint-Malo, j'étais adolescente, c'était pour la communion d'un petit cousin et la reconstruction de ville n'éait pas terminée, la seconde fois ce fut après mon mariage, voulant faire connaître Saint-Malo à mon mari, nous prîmes des vacances à Rocabay,
    Depuis 2001 je vis etn Bretagne à 33 kms de Saint-Malo, impossible de savoir combien de fois j'y suis allée, y allant plusieurs fois par an , d'ailleurs nous y partons d'ici une 1 h 30, nous sommes attendus au restaurant L'Amiral tout nouveau restaurant " Situé juste derrière la gare maritime de la Bourse, l'Amiral offre une superbe vue sur Saint-Malo et le Môle des Noires." Je te dirais ce qu'il en est, ainsi si tu as l'occasion de retourner à Saint-Malo ...
    Quoi que, ce set-rait un plaisir de te recevoir chez moi à Saint- Cast d'où on découvre Saint-Malo depuis la Grande Plage ... avec des jumelles,
    J'ai pensé à toi durant ce périple en Normandie, en passant non loin de Coutances, je ne pense pas me tromper que tu y fus pensionnaire selon ce que tu m'avais dit..J'ai retouvé Bayeux, sa Cathédrale, son cimetière anglais, mais pas le pensionnat de mes années collège !
    Autre sujet, à mon retour j'ai essayé de joindre l'épouse à Guy, et la clinique où Guy est hospitalisé sans résultats, ayant toujours les enfants à la maison, je vais essayer à nouveau ce week-end, peut-être que Chevrette a eu des nouvelles,
    Très bonne journée à toi,
    Bisous,
    pRIMA

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  4. Je suis désolée, je ne me suis pas relue et j'ai des erreurs de frappes !

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  5. Salut,

    Le temps est maussade .

    La météo nous promet du froid pour les jours à venir.

    Heureusement il y a du chauffage alors on reste au chaud.

    Bonne journée

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  6. bonjour
    je ne regarde jamais ce genre d'émission, la vie privée est souvent étalée et en plus souvent faussée, j'ai vu un tournage au Panama !
    bisous

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  7. Une belle histoire qui montre la dangerosité de tous ces jeux ... que je ne regarde jamais !
    Certains mettent leur vie en jeu juste pour gagner de l'argent.
    " Bon week end en espérant qu'il soit beau pour pouvoir en profiter pour jardiner un peu !
    Gros bisoux toujours sur smartphone ... "

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  8. Bonjour Elena,
    Ton récit m'a bien plu, je n'ai jamais regardé ces jeu télévisés, ça ne m'a jamais intéressée, mais il n'en ai pas moins vrai que le fait de trop se décharger sur l'électronique, la robotique, notre monde va complétement se déshumaniser, alors que je trouve qu'il l'est déjà !
    J'ai vu que tu étais passé sur le blog de Guy, J'ai eu des nouvelles par son épouse il est toujours hospitalisé, en clinique en suivi de soins et je doute qu'il revienne de sitôt sur son blog,
    Bon week-end à toi,
    Bisous
    Prima

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  9. Une bien jolie histoire ..
    Je ne fais que passer rapidement sur les blogs, je me remets tout juste d'un fort épisode fiévreux du à un refroidissement .
    Bon et doux Dimanche ELENA
    Bisous
    timilo

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  10. un bien joli texte que ces jeux que je ne regarde pas, mais qui plaisent tant. bises.celine

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  11. une histoire très jolie, écrite avec des mots justes.

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  12. C'est si bien raconté que j'ai failli y croire ! pourquoi pas ...quoi que
    belle journée Elena avec bise

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