samedi 13 juillet 2013

Adieu Russie (fin)


Alexis y rencontra Troyat mais ils quittèrent ce cercle dès qu’il y eut la question « Devrait-il être pro soviétique ou pro tsariste ?
La communauté russe permettait de se retrouver, d’aller voir un film russe, manger un plat russe entre amis. Si la plupart des Russes refusaient de critiquer le pays qui les a accueillis, ils vivaient entre eux et avaient peu d’amis français.
Eugénie tenait un salon, les familles les plus nobles s’y réunissaient ainsi que les Romanov vivant en France. Elle avait appris à bien cuisiner et ses plats valaient ceux de sa cuisinière en Russie. Elle devait compter et pour cela elle cuisinait beaucoup, cela revenait moins cher. Elle achetait de la viande par petite quantité pour les pirojki ou de basse qualité pour le bortsch, elle n’avait pas les moyens de faire du poulet.
Ceci-dit la famille sortait beaucoup, autant qu’elle recevait, ils refaisaient le monde mais surtout rêvaient de retourner dans leur pays, sans trop y croire.
Souvent Eugénie revoyait leur propriété aussi grande qu’une petite ville, on ne pouvait pas y faire le tour à pied. Elle se souvenait des bals à la cour mais aussi les autres. Elle avait été une jolie femme ayant beaucoup de charme, elle fut toujours très entourée, au moment de connaître Michel elle était courtisée par deux autres prétendants, Michel a eu sa faveur grâce à son sérieux. Elle voulait se stabiliser et avoir d’autres enfants. Leur couple était très solide, rien ne pouvait l’ébranler !
Le soir Michel lisait un livre ou le journal à voix haute pendant qu’Eugénie brodait ou tricotait.
Alexis se maria le premier en 1928, il quitta le logement pour aller vivre dans un petit appartement à Paris avec Véra, sa femme. Les garçons avaient obtenu une bourse et continuaient leurs études.
En 1931 Véra quitta Alexis lui laissant une petite fille, Natacha, il revint vivre chez sa mère avec la petite. Michel et les fils décidèrent d’acheter un grand appartement pour toute la famille à Issy les Moulineaux. Tous y participèrent, l’appartement se trouvait, 1 rue Claude Matrat, c’était un endroit calme ; il était au 1er étage et comportait sept pièces, une salle de bain, cuisine etc…
Lorsque Wladimir et Georges se marièrent, ils vécurent un certain temps dans l’appartement familial, puis les belles sœurs se débrouillèrent pour déménager, leur belle-mère était trop accaparante avec ses fils.
Un peu avant le service militaire Michel décida que ses fils devaient prendre la nationalité française pour accomplir leur devoir de citoyen vivant en France.
Il n’y a qu’Alexis qui refusa de devenir français, il prit le passeport soviétique sans le dire à sa mère, de peur de la voir fâchée.
Au début de la guerre les fils étaient fiancés ou mariés, ils étaient français et avaient fait leur service militaire. Georges fut prisonnier par les Allemands, il réussit à s’enfuir et rentrer en France.
Le début de la guerre causa du tracas aux Russes immigrés, les Français faisaient l’amalgame pour le pacte de non-agression des Soviétiques, et les Russes vivant en France qui n’avaient rien à voir avec les Soviétiques en pâtissaient.
 Faire la queue devint difficile pour Eugénie, on la traitait de « sale Russe » parfois on refusait de lui donner du pain, sa petite fille faisait les courses à sa place.
A la fin de la guerre, il y eut un nouvel arrivage de Russes, ils étaient soviétiques revenant des prisons allemandes et craignant les représailles du petit père Staline, ils demandèrent asile en France.
Les nouveaux russes ne furent pas acceptés par les autres, ils étaient considérés comme frustres, ayant des mauvaises manières, leur langage n’était plus aussi pur, on les reconnaissait au parler. Il y eut deux communautés ne se parlant pas ou peu !
Alexis se remit avec sa femme Véra, n’ayant pas divorcé, il avait eu une relation avec elle au hasard d’une rencontre, elle tomba enceinte, il décida de rester avec Véra. Eugénie ne lui pardonna pas et ne voulut pas voir la petite à la naissance, Alyona, c’est Michel qui assista à son baptême.
Georges et Wladimir eurent des enfants à la même époque. La guerre finit enfin et la vie fut plus facile pour les familles russes d’autant que les Russes n’étaient plus des ennemis mais des sauveurs tout comme les Américains.
Les clubs, colonies et même églises étaient divisées entre prosoviétiques ou tsaristes, dans certains camps on chantait l’hymne tsariste. Les enfants apprenaient des anciennes lettres en russe alors qu’on ne les trouvait plus dans les livres.
Alexis acheta une radio qui pouvait capter Moscou, surtout le matin ou tard le soir. Ils écoutaient les programmes, certains contes étaient intéressants mais la propagande existait, ils avaient entendu comment les commentateurs demandaient aux enfants de dénoncer leurs parents pour certains propos.
Alexis et Véra gardèrent le passeport soviétique mais ils n’étaient pas communistes et se méfiaient tout en trouvant que beaucoup de progrès avait été fait pour le peuple.
Eugénie était très pieuse tout comme son mari, ils étaient restés de vieux tsaristes. Eugénie finit par revoir sa belle fille et Alyona, elle les invitait régulièrement pour les fêtes en même temps que les autres petits-enfants, tous se tiennent à trois ans d’écart.
Une riche amie d’Eugénie avait acheté une maison avec un grand terrain à Poigny, elle n’y allait pas souvent et la louait à bas prix à Eugénie. L’été toute la famille s’y retrouvait, il y avait une petite maison de deux pièces en plus, Alexis et sa famille y logeaient. Eugénie menait les enfants d’une main ferme, tous les matins ils étudiaient avec elles, dans le jardin s’il faisait beau sinon dans la maison. Elle disait :
-         Nous allons apprendre « La cigale et la fourmi » Elle donnait le nom du traducteur et omettait le nom de l’auteur.
Les enfants devaient l’apprendre en russe. Il y avait aussi le catéchisme, Alexis et sa femme n’étaient pas croyants mais n’en parlaient pas et laissaient leurs enfants apprendre le catéchisme en russe. Eugénie aimait raconter sa vie d’avant, elle parlait de la tsarine et de ses filles, racontait leur vie quotidienne. Pour les enfants c’était un monde qu’ils ne comprenaient pas, tellement il était si loin de la réalité.
En 1946, le gouvernement russe demanda aux français d’origine russe de revenir dans leur pays, promettant des postes élevés, ils avaient besoin d’intellectuels. Il y eut pas mal de jeunes qui partirent plein d’espoir. Ils se retrouvèrent dans des Kolkhozes et ce durant des années avant que certains retrouvent un poste digne de leur capacité. Certains réussirent à prévenir la famille mais la correspondance devenait pour ainsi dire impossible et y aller aussi !
Les enfants d’Eugénie se marièrent avec des jeunes filles d’origine russe, dans les autres familles aussi. Il y eut bien quelques mariages mixtes mais très peu !
A la seconde génération il y eut la moitié des couples ayant des origines russes et la moitié qui se mariait avec un Français ou d’un autre pays.
En 1951 mourut Michel, il y eut un très grand enterrement avec un monde fou, il fut enterré à Sainte-Geneviève des Bois, le cimetière le plus célèbre pour les Russes.
C’est aussi à cette époque que Véra quitta Alexis pour la seconde fois, lui laissant Alyona, l’aînée étant mariée.
Alexis retourna vivre avec sa mère, il laissa sa fille un an en Haute-Savoie puis la reprit et Eugénie l’éleva.
Un an plus tard Eugénie mourut à son tour d’un cancer et l’appartement fut vendu et la somme partagée entre les frères. Alexis avait mis moins que ses frères et n’eut qu’une petite part, il trouva un logement sans fenêtres à Vanves.
Les trois frères purent retourner en Russie, Georges était même directeur du musée Pouchkine, il avait fait don de beaucoup d’objets appartenant à la famille, il y allait de temps en temps et était très bien reçu. Wladimir y alla en tant que touriste et Alexis y retourna avant de mourir. Il revit l’ancienne maison à Leningrad, la petite fille de Pouchkine, il revint content de son voyage mais savait qu’il ne pourrait pas vivre là-bas.
Par contre, à chaque fois qu’un ballet russe ou l’armée des cœurs soviétiques venait à Paris Alexis y emmenait sa fille.
La famille s’habitua au nouveau pays, la génération suivante fit des mariages mixtes, les enfants ne parlaient plus le russe ou très mal. Ilz étaient parfaitement intégré à la France.
FIN


9 commentaires:

  1. Bravo et merci pour cet intéressant récit.
    Bises et bon week end Elena
    fontaine

    RépondreSupprimer
  2. un récit passionnant que nous avons suivi avec bcp d'interêt;
    bon samedi, Elena;

    RépondreSupprimer
  3. les politiques ont fait bien des exilés sur cette terre !
    toi tu ressents quoi quand tu vas en Russie? tu y sens encore des racines ou pas?
    mon grand-père était de Bavière venu ici juste avant la guerre 40-45 ... perso j'aime y aller mais quand j'y suis je ne parle pas allemand et je n'y sens pas de racine ....

    RépondreSupprimer
  4. ton récit est 0 la Tolstoii
    tu es profondément russe, tu sais
    des prénoms, des prénoms, comme si cela suffisait
    humaine jusque au bout des ongles
    des petites histoires ds l'Histoire
    comme tu es marquée, en le sachant
    mais en faisant semblant de ne plus le savoir
    Moi, j'aime cette Russie éternelle
    une violence, une passion, une tourmente,
    un Romantisme,
    la Vie quoi ?

    RépondreSupprimer
  5. je vois que ta mémoire est restée intacte, tu te souviens des dates, des évènements comme si tu avais été présente, alors qu'on a dû te raconter tout ça, ta grand-mère je suppose, mais toi tu as fait exception, tu parles la langue !!

    RépondreSupprimer
  6. Bonjour Elena,
    C'est toujours difficile de recréer une vie dans un pays qui n'est pas le sien. J'ai rencontré le grand-père paternel de ma petite-fille à l'occasion de fêtes de fin d'année, lui est né en France, sa soeur était née en Russie et vie au Canada...ils ont conservé cet amour de la Russie et l'ont transmis à leur descendance.
    Je crois que quel que soit le pays que tu dois quitter, c'est une déchirure et il est toujours agréable de se retrouver entre compatriotes pour évoquer le pays.
    Très belle fin de journée.
    Bisous.
    Prima

    RépondreSupprimer
  7. pas toujours facile de refaire sa vie
    c'est très dur pour les étrangers
    cette famille a réussi à survivre

    ti bo et très belle soirée

    RépondreSupprimer
  8. bon dimanche, merci pour cette tres belle histoire, difficile de s'intégrer, quitter ses racines, la Russie est un magnifique pays, on ne peut oublier ! bisous chere Ln

    RépondreSupprimer
  9. bonsoir Elena .... j'ai bien aimé la fin de ta nouvelle, et tous les rebondissements dans la vie de tes personnages ... je pense qu'il doit être difficile pour la première génération de s'intégrer facilement dans un pays aussi différent de culture car les russes ont une culture forte, riche, un passé intense .... je comprends que Alexis ait voulu garder la nationalité Russe ....
    gros bisous et merci d'apprécier Patriiiiiiiiiiiick !!! hihihihihihi

    RépondreSupprimer